Modéliser les acquis de l’expérience
Le processus de construction de l'expérience est subjectif et contextuel. On observe notamment qu'un même mot n'évoque pas forcément les mêmes concepts d'une époque à une autre.
Le mot
lumière
par exemple, avant et après le 16 ème siècle.
On peut donc s'interroger sur les expériences qui forment nos concepts et transforment notre compréhension du langage. On peut tenter de modéliser les acquis de l'expérience.
Une tendance
Récemment arrivé dans une nouvelle organisation où une restructuration vient d’avoir lieu, j’interroge une personne à propos de son changement de poste. Ses nouvelles missions sont très différentes. La réponse fût simple, et accompagnée d’un sourire : “Rien n’a changé, je résous des problèmes”. Bien sûr pour “résoudre les nouveaux problèmes” l’expérience construite auparavant est importante.
Cette échange reflète une tendance que l’on peut observer régulièrement dans le processus de construction de l’expérience :
- Être attentif aux similitudes et aux changements des différentes situations rencontrées
- Réutiliser et enrichir un
référentiel de similitudes
Les similitudes observées forment les concepts. La construction du référentiel
est stimulée par la variété des situations rencontrées. Elle a lieu dans différentes disciplines, et dans différents domaines, professionnel, musical, sportif, etc.
Certaines disciplines peuvent avoir un effet ‘déclic’ et aider à organiser / structurer le référentiel
conceptuel : l’algèbre universelle, par exemple, en tant qu’étude des relations et des structures entre les éléments.
Dans tous les cas, des échanges collectifs (une interaction, une communication) permettent de relativiser, confronter, et forger l’expérience.
L’observation et le modèle proposé sont centrés sur un apprentissage par analyse de similitudes, dont le processus constitue un support à la réutilisation et à la transmission des connaissances. Il forme un lien entre différentes expériences.
Un modèle
Voici comment écrire un processus de construction d’expérience :
- une structure, une syntaxe
- deux exemples
- une représentation graphique
Structure et syntaxe
{ $pensées } <Stimulation> { $activités } <Action> { $enseignements } <ADS> { $concepts } <Usage> { $compétences }
Les éléments de cette syntaxe :
{} les accolades désignent un ensemble. Il peut s'agir d'un ensemble de pensées, d'activités, d'enseignements, de concepts, ou de compétences.
$ le dollar désigne une variable. Il peut s'agir d'une pensée, d'une activité, d'un enseignement, d'un concept, ou d'une compétence.
<> les signes inférieur et supérieur entourent un mode transformation entre les ensembles : la stimulation, l'action,
l'analyse de similitudes, l'usage.
`ADS` désigne l'analyse des similitudes vue précédemment.
La pensée correspond au langage intérieur [Vygotsky, 1896]1.
L’ADS
permet d’alimenter la pensée et le langage des concepts qu’elle crée.
Elle opère sur l’ensemble des concepts connus à ce jour.
Exemple de formalisation d’une expérience d’enseignement
{ pensée : l'ensemble des concepts connus à ce jour } <Stimulation>
{ activité : cours en classe } <Action>
{ enseignement : pourquoi et comment mettre en place un dispositif d'apprentissage personnalisé ? } <ADS>
{ concepts : le transfert de compétences par objectif, la pédagogie personnalisée } <Usage>
{ compétences : concevoir des outils de formation centrés sur l'utilisateur, faire évoluer et utiliser ces outils }
Exemple de formalisation d’une activité d'échange collectif (communication)
{ pensée : l'ensemble des concepts connus à ce jour } <Stimulation>
{ activité : échange collectif, réunion } <Action>
{ enseignement : comment communiquer un message ? } <ADS>
{ concepts : le feedback, le fond et la forme, l'effet miroir, le contexte temporel, relationnel, culturel } <Usage>
{ compétences : savoir écouter ses interlocuteurs, maitriser une image, construire un message adapté }
Cet exemple fait écho à l’observation faite un peu plus haut : l’action de “participer à des activités de communication collectives” est indispensable à la construction de l’expérience.
Une représentation graphique
Des zones concentriques sont utilisées :
Au centre se situe la pensée
. Le premier cercle est celui des activités
. Le second celui des enseignements
, le troisième celui des concepts
, le quatrième celui des compétences
.
Pour passer d’une zone à l’autre les modes de transformation sont utilisés : Stimulation
, Action
, Analyse de similitudes
, Usage
.
Cette représentation graphique à plat est une projection réductrice du graphe, lui-même incomplet, qui contient l’ensemble des relations entre les éléments.
Une modélisation en graphe permettrait d’étudier la structure et la complexité de la pensée en utilisant l’algèbre :
Les “mode de transformation” sont les opérateurs.
La complexité du parcours qui permet d’atteindre une compétence peut être estimée.
Des homomorphismes
Les réseaux neuronaux
L’utilisation de réseaux neuronaux en intelligence artificielle propose un homomorphisme avec la construction de l’expérience. Au delà des similitudes entre les structures informatiques et notre organisme, il y a aussi une technique d’apprentissage.
Elle nécessite un ensemble de cas résolus appelé corpus. Chaque élément présenté au programme permet de corriger son état interne : les poids et les fonctions de transitions d’entités informatiques appelées noeuds ou neurones. Le programme construit ainsi l’expérience. La méthode est appelée « rétro-propagation du gradient de l’erreur ».
Les choses deviennent intéressantes lorsqu’un cas en dehors du corpus d’apprentissage est présenté, si le programme donne une réponse correcte. On peut alors estimer que l’apprentissage est en bonne voie, que la structure et l’état interne permettent de répondre à une problématique.
L’école
C’est le lieu institutionnel de formation à la construction du langage naturel, qui accompagne celle de l’expérience : à chaque nouveau concept ses mots.
L’épreuve de français du Baccalauréat donne l’occasion de remarquer ceci : la poésie utilise la synecdoque, la métonymie. Par des figures de styles
la poésie illustre des concepts en utilisant les similitudes entre les éléments ou les situations.
L’évolution des langages informatiques
Elle est homomorphe à la construction de l’expérience modélisée précédemment. Dans l’histoire des langages informatiques ce constat est assez bien représenté par la “conception objet”, liée aux langages objets, dont l’origine remonte aux années 1967-78. Du concept de langage objet naît le langage Simula.
Aussi
Il existe un inventaire de « Learning Styles » [KOLB, 1984]. Dans son livre, D. Kolb 2 présente différentes études sur les modes d’apprentissage préférés selon le contexte personnel ou social.
Formateur et enseignant, Kolb détermine des tendances selon la discipline (par exemple Management, Art, Engineering, Research) dans le but d’adapter la pédagogie.
Appliqué à la construction individuelle de l’expérience, son exposé invite chacun à adapter sa manière d’apprendre selon le contexte.
En fin
Il est vraisemblable que le formalisme présenté ici ne soit pas utilisé consciemment au quotidien. Il n’est bien sûr pas unique, ni adapté à toutes les situations. En revanche son concept devient une habitude.
Par analogie, lorsqu’un médecin généraliste établit un diagnostic (à partir d’observations), il procède par analyse de similitudes pour cibler les potentielles causes de la maladie. L’expérience permet d’analyser plus efficacement une situation.
Sur un ensemble de cas, le bon usage des concepts peut être évalué sur les plans de la méthode, de la complétude, et de la cohérence. On peut y voir un outil d'évaluation des compétences …
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Lev Vygotsky, Pensée et langage https://www.scienceshumaines.com/lev-vygotski-1896-1934-pensee-et-langage_fr_9754.html ↩︎
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Kolb, David. (1984). « Experiential Learning: Experience as the source of Learning and Development », URL : https://www.researchgate.net/publication/315793484_Experiential_Learning_Experience_as_the_source_of_Learning_and_Development_Second_Edition ↩︎